30/4/20

Amitié Haitiano-Congolaise: La contribution de la diaspora haitienne à l´éducation congolaise

Par Richadson LOUIUS
Professeur et internationaliste

Le 17 janvier dernier, avec un déploiement international par le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés,  j´ai initié un long voyage de plus de 17 heures de vol pour arriver à fouler pour la première fois le sol africain à l'aéroport international Mohammed V, de Casablanca.

Nombreux sont mes compatriotes qui m´ont chargé de transmettre leurs salutations à leurs arrière-parents en Afrique. «Komisyon pa chaj», dit-on en Créole.

Après quelques heures au Morroc, j'ai abordé mon troisième vol vers ma destination finale, la République Démocratique du Congo (RDC), anciennement appelée Zaïre  et Congo Belge, pour découvrir ce que j'appellerais "une nouvelle terre haïtienne". Vous comprendrez pourquoi dans ces lignes.

Dans moins de 48 heures, j'ai appris ma première leçon, une très belle leçon en terre congolaise.

Dans l'une de mes premières inductions, - nous étions deux nouveaux arrivés: moi et un confrère camerounais depuis devenu un ami-  une fois m´avoir présenté comme haïtien, le facilitateur a souri et m'a dit: «je vais te donner une note d'histoire que tu n'as probablement pas. Après l'indépendance de la RDC de la Belgique le 30 juin de 1960, le nouveau gouvernement congolais s'est débarrassé des belges qui enseignaient dans nos écoles et ils ont été remplacés par des professeurs très compétents venus d'Haïti. Ils ont beaucoup apporté à notre éducation. Moi personnellement, j'ai eu plusieurs professeurs haïtiens».

Ce fut le début d'une éternelle répétion de cette belle note d´histoire de l'amitié haitiano-congolaise. De la capitale Kinshasa vers la province du Kasaï (de 95 631 km2, plus vaste que nos Républiques d'Haïti et Dominicaine), au centre du pays, faisant frontière terrestre avec l'Angola; et du Kasaï vers la province de Goma, à l'Est, faisant frontière terrestre avec le Rwanda, la note d'histoire se répète dès que je me suis présenté comme haïtien.

Plus d'un m'ont partagé les anecdotes de leurs expériences avec les haïtiens.

Rares sont les congolais et congolaises ayant fréquenté l'école entre 1960 et 1980 qui n'auraient pas reçu le pain de l'instruction de mes compatriotes haïtiens.

En début du mois de mars, au Kasaï, un juriste congolais est allé plus loin pour me manifester que le médecin traitant de sa famille était un haïtien.

Ces anecdotes sont en consonance avec les documentations historiques existantes. Le fameux historien congolais Elikia M’Bokolo, cité par le magazine Jeune Afrique[1] dans un article intitulé «Haïti : fille aînée de l’Afrique»,  a extériorisé: «J’ai été leur élève. Il y avait parmi eux des professeurs, des médecins, des juristes – des personnes de très grande qualité – qui nous ont beaucoup apporté» et il a par la suite renchéri «pour nous, Haïti est à la fois le symbole de l’abaissement des Noirs à travers l’esclavage et la traite, et de leur redressement grâce à l’indépendance qu’ils ont arrachée au colonisateur».

Selon le magazine Jeune Afrique, «les intellectuels haïtiens ont, depuis le temps des indépendances africaines, beaucoup œuvré pour le continent» ; tout en rappelant que «la quasi-totalité des Haïtiens sont des descendants des esclaves noirs issus de la côte ouest-africaine, c’est-à-dire du Nigeria, du Bénin et du Togo actuels». Ce qui définit le «lien humain» entre Haïti et l´Afrique, dont elle est la fille  aînée.  Ici au Congo-Kinshasa, tous les hommes sont appelés ¨papa¨ et toutes les femmes  ¨mama¨, indépendamment de leur âge, comme signe de respect et d´appréciation. Donc, en tant haïtien, j´en profite pour les appeler ¨papa¨ et ¨mama¨, car je suis venu des entrailles africaines.

Le même constat est fait par Camille Kuyu dans son ouvrage intitulé ¨Les haïtiens au Congo».  Pour Julien Kilanga Musindé[2], lui qui a signé le préface de l´ouvrage qui vient d´être cité, «en dépit des difficultés de la vie quotidienne dans ce nouvel environnement, la communauté haïtienne en RDC a joué un rôle majeur dans la construction de l'État congolais», pour qui il est important de faire connaitre cette belle page de l´amitié haitiano-congolaise.

Le docteur Daniel Talleyrand, ancien professeur de pédiatrie à l'université de Lubumbashi, deuxième plus grande ville de la RDC et située près de la frontière avec la Zambie, a ouvert la voie à la médecine communautaire congolaise en se rapprochant vers les gens durant ses années passées en RDC, témoignent plus d´un.

Il sied de préciser que la présence haïtienne de l´époque en RDC ne s´agissait pas d´une fuite de cerveaux de nos cadres haïtiens, mais répondait au noble idéal haïtien de contribuer á la libération et l´émancipation des colonisés. Pour le chef du gouvernement congolais Patrice Lumumba, «Haïti c´est où la négritude s´est mise debout, nous devons collaborer avec les Haïtiens pour nous sortir du joug colonial»[3].  Haïti fut considéré comme le seul pays capable de voler à leur secours.

C´est ainsi que l´histoire rapporte[4]  qu´en juillet 1960 le ministre de l'éducation congolais, Pierre Mulele, qui voulait faire de l'enseignement un instrument de la décolonisation mentale des congolais, envoya sur ordre du chef du récent gouvernement congolais un émissaire en Haïti pour solliciter au président François Duvalier la coopération haïtienne dans le but de remplacer les enseignants Belges par des enseignants haïtiens. Ce fut une tache très facile pour l´émissaire congolais, car le président Duvalier avait soudainement accepté la demande. Pour Duvalier, Haiti avait une dette envers les pays de l´Afrique à honorer, mais aussi il voulait mitiger la pression de l´élite haïtienne contre son régime[5].  

Evidemment, cette  réalité me donne l´impression d´avoir découvert une «nouvelle terre haïtienne». La terre de mes sœurs et frères congolais.

Avec l´évolution de la société congolaise et, dirait-on, le sentiment du devoir accompli, beaucoup de cette importante communauté haïtienne ont laissé la RDC á partir des années 1980, mais le bon goût de cette coopération reste intact sur les lèvres congolaises.

Cette note d´histoire s´aligne à ma publication faite sur mon blog rlouius.blogspot.com en janvier 2018 intitulée «notre passé glorieux : un atout au service de la diplomatie haïtienne», dont la version espagnole fut publiée par le diario digital Acento.com[6].

Mais, quel est l´état de la diplomatie contemporaine haïtienne, notamment vis-à-vis du continent africain ? Nous allons faire la lumière là-dessus dans notre prochaine publication.


A savoir plus sur la RDC.

La République Démocratique du Congo, est souvent appelée RDC, Congo-Kinshasa ou RD Congo pour la différencier de sa voisine République du Congo, communément appelée Kongo-Brazzaville pour la même raison. Cette ancienne colonie fut également appelée Congo Belge et Congo-Léopoldville entre 1908 à 1966. Puis, Zaïre avec la zaïrianisation entre 1971 á 1997.


Son vaste territoire est de 2 345 410 km2, soit 84.5 fois d´Haïti et 30.78 toute l´Hispaniola, est peuplé depuis environ 200 000 ans av. J.-C.  Il partage des frontières avec 9 pays: la République centrafricaine, le Soudan du Sud, la République du Congo, l'Angola, la Zambie, l'Ouganda, le Rwanda, le Burundi et la Tanzanie. Sa capitale est Kinshasa.

Le Français est sa langue officielle aux côtés du Lingala, le Kikongo, le Swahili, le Tshiluba considérés comme langues nationales.

Elle est une république semi-présidentielle. Son président actuel est Félix Tshisekedi.

En matière économique, son PIB nominal (2018) fut de 47,23 milliards de dollars (89e), son IDH (2018) fut 0,457 (faible  ; 174e) et sa monnaie est Franc congolais (CDF), 1US/1,700CDF.

En matière minière, le pays dispose du diamant, l´or, cuivre, étain, coltan, bauxite, fer, manganèse, charbon, pétrole, gaz méthane, Schistes bitumeux et cobalt, dont elle détient á elle-seule 50% de la production mondiale[7].

Elle a une riche culture musicale, connue principalement sous le nom de Rumba qui fait danser tout le continent africain.